BUGEY : Peigneurs de chanvre, un métier disparu

De toutes les industries de montagne, la plus caractéristique était bien celle des peigneurs de chanvre ou pignards du Bugey, dont un grand nombre venaient de Belley dans l’Ain. Chaque année, ils quittaient leur pays prendre la direction des départements de la Sarthe, de la Meurthe, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, où l’on semait beaucoup de chanvre. Cette émigration se faisait par petites bandes, composées d’un chef et de deux compagnons. Ces derniers travaillaient pour le compte du chef, qui se chargeait de leur nourriture et leur donnait un salaire proportionné à leur habileté à isoler les fibres textiles en détachant les chènevottes. Environ 2.000 d’entre eux venaient de l’arrondissement de Belley, mais l’arrondissement de Nantua fournissait le gros de la troupe : 4 000à 5 000 personnes.

Peigneurs de chanvre

Presque tous les domestiques des cultivateurs, et même ceux des maisons bourgeoises, se réservaient dans leurs engagements les mois d’émigration, ce qui s’appelait dans le pays « retenir son peigne ». Ils partaient dans les derniers jours de septembre ou au commencement d’octobre, et revenaient ordinairement à Noël. Les plus tardifs étaient rentrés « aux rois ». Ces peigneurs, après quelques folles dépenses de cabaret et quelques emplettes d’habillement, rapportaient dans leurs foyers les deux tiers de leurs gages, une somme de 60 à 90 francs qui leur permettait souvent d’agrandir le champ paternel. A leur retour, loin de se reposer, ils fabriquaient des outils, des articles de boissellerie, et faisaient notamment de très belles fourches à quatre branches garnies de cornes de mouton. A la fin de mars, quelques ouvriers émigraient encore une fois pour aller peigner le chanvre, mais ils n’allaient que dans les départements voisins et leur absence ne durait qu’un mois. Dans le milieu du XIXe siècle, les économies totales de ces peigneurs étaient évaluées par Riboud à 430.000 francs or.

Dans leurs pérégrinations, ils usaient d’une langue secrète, le « belo », Ce n’est pas là un exemple isolé d’un parler propre à une corporation. Bien des dialectes furent inventés pour déjouer la curiosité de l’étranger. En langage belo, eau-de-vie se disait « bran de paille », lait: « collant », feu: « roubic », ce qui ne manque ni d’accent ni de couleur. Malheureusement, le Haut-Bugey s’est dépeuplé avec une rapidité effrayante et personne ne parle plus le belo. Des peigneurs de chanvre se spécialisèrent en devenant fretteurs chargés de séparer les fibres de chanvre du bois -teiller-pour en fabriquer des filasses destinées aux cordages. Dans les corderies royales on les appelait espadeurs leur savoir-faire consistant à débarrasser la filasse de chanvre de la chènevotte, sa partie ligneuse.

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